Antônio Torres au Salon du livre de Paris, 20-23 mars 2015 – Par Olivieri-Godet, Rita

Olivieri-Godet, Rita

Original

Antônio Torres (1940, Junco-Bahia) est un des écrivains invités du Salon du livre dont les romans représentent la diversité thématique et formelle de la production littéraire brésilienne contemporaine. Auteur d’une dizaine de romans dont quatre traduits en français (Cette terre ; Chien et loup ; Un taxi pour Vienne d’Autriche et Mon cher cannibale), il a reçu plusieurs prix littéraires.

Le succès obtenu avec la publication de Cette terre au Brésil, en 1976 – roman aujourd’hui traduit dans plusieurs langues – consacre définitivement l’écrivain, élu à l’Académie Brésilienne des Lettres en 2013. Cette terre met en scène la migration tragique des paysans du Nordeste vers São Paulo, la capitale économique du Brésil. Le récit explore les deux facettes d’un même pays – le Brésil rural et le Brésil urbain. Un vrai chef-d’œuvre qui renouvelle la tradition du récit régionaliste aussi bien par ses innovations formelles que par l’approche de la thématique sociale qui n’abandonne pas pour autant une perspective dense et intériorisée du drame de la sécheresse. Ce roman s’ouvre également à une réflexion sur le déracinement tragique auquel est condamnée une partie considérable de la population dans le contexte actuel de la mondialisation. 

Une autre facette de l’œuvre d’Antônio Torres explore les rapports entre fiction et histoire et inaugure un dialogue avec l’Histoire de France. Deux de ses romans empruntent des éléments à des événements communs à l’histoire française et à l’histoire brésilienne : O nobre sequestrador (2003)et Meu querido canibal (2000) (Mon cher cannibale), qui, selon l’auteur lui-même, est un « récit historique écrit d’une manière romancée ». Après le Salon du livre de Paris, l’auteur s’est également rendu à Rennes, le 25 mars, pour participer à une table ronde autour de son œuvre et dédicacer son roman. Pour un avant-goût de ce texte romanesque, je vous propose la lecture de la postface que j’ai écrite, dont le texte est repris ci-dessous. 

Antônio Torres, Mon cher cannibale [Meu querido canibal, Brazil, RECORD], Paris, Editions Petra, Collection Voix d’Ailleurs, 2015 [2000], traduit du portugais du Brésil par Dominique Stoenesco. Postface de Rita Olivieri-Godet.

Le public francophone a déjà pu explorer l’univers de l’écrivain brésilien Antônio Torres dans ses romans Cette terre (éd. Métallié, 2002), Chien et loup (éd. Phébus, 2000) et Un taxi pour Vienne d’Autriche (éd. Gallimard, 1992). Mobilités sociales, mémoire familiale et sociale, violence urbaine. Cette diversité thématique et stylistique de l’un des auteurs les plus originaux de la littérature brésilienne contemporaine est doublée d’une capacité à tisser des histoires fortes et surprenantes qui nous dévoilent un monde dans lequel nous vivons en aveugles. 

Cette traduction de Dominique Stoenesco du roman Meu Querido Canibal (éd. Record, 2000), récompensé par un prix littéraire au Brésil en 2001, nous donne le plaisir de découvrir un autre versant de son œuvre. Mon cher cannibale est le premier roman d’Antônio Torres basé sur des événements communs à l’histoire française et à l’histoire brésilienne, le second étant O Nobre Sequestrador (éd. Record, 2003). Mon cher cannibale met en scène l’Indien Cunhambebe de la nation tupinamba – qui habitait la région de la baie de Guanabara lors de l’invasion française de Rio de Janeiro, en 1555 – dans le cadre du projet de construction d’une France Antarctique, sous le commandement de Nicolas Durand de Villegagnon ; O Nobre Sequestrador s’inspire de la biographie de René Duguay-Trouin, corsaire du roi Louis XIV, qui, en 1711, assiégea pendant 50 jours la ville de Rio de Janeiro. Ces œuvres, qui travaillent les rapports entre littérature et histoire, croisent des regards entre le Vieux Monde et le Nouveau Monde tout en interrogeant le sens d’une telle rencontre. 

  • 1 Antônio Torres, « A consacração dos dois Brasis », Zéro Hora, Porto Alegre, Segundo Caderno/Jornad (…)

La trame originale de Mon cher cannibale se nourrit de la confrontation entre le modèle culturel occidental et les cultures amérindiennes. Publié en 2000, date symbolique au Brésil avec la commémoration des 500 ans de sa « découverte », ce roman d’Antônio Torres contribue à la réinterprétation du parcours historique de la Nation brésilienne, en questionnant le passé, en créant des passerelles avec le présent et en s’interrogeant sur son avenir, dans un monde de plus en plus globalisé. « Mon livre est une cannibalisation de l’histoire et de la littérature », affirme Antônio Torres qui exprime de façon concise la facture complexe de cette œuvre1. Son amplitude temporelle permet de révéler les conséquences dramatiques de l’ethnocentrisme et des formes de violence qui traversent le passé et le présent de la nation brésilienne. Ce roman est également une sorte de récit-témoignage sur le temps présent. Centrée sur la construction imaginaire de l’Amérindien comme figure de l’Autre, l’œuvre affiche sa solidarité envers la résistance engagée par les peuples amérindiens, mais elle ne se limite pas à cette fonction contestataire. Elle extrait sa force du lien établi entre la production de signes et la visée critique qu’elle prétend instaurer, comme l’illustre la partialité assumée par le narrateur dans la construction du personnage de Cunhambebe. En explorant de manière radicale les frontières entre littérature et histoire, elle s’éloigne du modèle du roman historique traditionnel par le biais du questionnement des conventions de fictionnalité et de véracité. 

Dans le texte hybride de Mon cher cannibale, Antônio Torres met en œuvre un intense processus intertextuel, dans le sillage de l’irrévérence anthropophage des modernistes brésiliens. Il remet en question la frontière des genres en incorporant de multiples configurations discursives telles que : le récit historique, la chronique, le récit mythique, le poème, les paroles de chansons, le langage publicitaire, avec lesquelles il dialogue pour produire sa fiction. Outre Cunhambebe, l’autre héros anthropophage présent dans le texte est le narrateur lui-même qui présente sa version des faits, dans un langage courant et ludique, qui détone au milieu des conventions et normes adoptées par le « discours historique monumental ». Le récit dynamique, d’une délicieuse bonne humeur, qui use et abuse du potentiel subversif de l’ironie, invite le lecteur à participer au jeu de la création. Le ton irrévérencieux et souvent humoristique contraste avec le caractère dramatique du thème. L’apparente simplicité de la prose résulte, en vérité, d’un travail habile et sophistiqué d’articulation d’éléments multiples qui participent à la construction narrative. 

L’œuvre est structurée autour de trois grandes parties marquées par des temporalités diverses. Dans la première partie, « Le Cannibale et les Chrétiens », l’action se focalise sur la dispute entre Portugais et Français pour la conquête d’un territoire qui correspondrait aujourd’hui, en partie, à la ville de Rio de Janeiro. Elle met en relief les conséquences de cette guerre pour les peuples amérindiens. En évoquant le processus de déterritorialisation des Indiens qui habitaient cette région, dans le contexte historique colonial axé sur l’épisode de l’invasion française de Rio de Janeiro, au XVIème siècle, l’auteur discute la formation d’une image virtuelle des Amérindiens véhiculée par l’Imaginaire de l’Autre – l’Européen. Antônio Torres établit un dialogue intense avec les récits de voyage d’André Thevet, Jean de Léry et Hans Staden, entre autres.

La seconde partie, « Au commencement Dieu s’appelait Monan », nous transporte dans le temps mythique des récits sur la création du monde, en confrontant le livre de la Genèse à la mythologie des Tupinambas. 

La troisième partie, « Voyage à Angra dos Reis », situe l’action « à l’aube du sixième siècle après la Découverte du Brésil » et transporte abruptement le lecteur dans la contemporanéité en établissant un parallèle entre les formes actuelles de violence et celles qui ont conduit au massacre des Amérindiens. 

Par son titre, Mon cher cannibale annonce l’engagement affectif du narrateur vis-à-vis de son personnage. Sa version de l’histoire s’assume pleinement comme un exercice d’héroïsation des Tupinambas, et en particulier de Cunhambebe. Tout au long du récit, le narrateur indique les limites de la reconstruction des faits historiques. Il met en doute la véracité du discours hégémonique occidental, responsable de la confiscation de l’histoire des peuples amérindiens. Profondément bakhtinien, le narrateur imite tous les types de discours et en invente d’autres, destinés à compenser les lacunes d’une Histoire qui n’est pas intéressée par des « histoires d’Indiens ». Le récit résulte à la fois du matériel dont dispose le narrateur-auteur-historien-anthropologue-sociologue, fruit d’un vaste travail de recherche, et de son habileté à créer et imaginer des anecdotes qui articulent le réel et l’imaginaire, comme il est de rigueur dans la fiction. La problématisation de la narration historique, caractéristique de la « métafiction historiographique », va de pair avec une conscience autoréflexive et parodique. La fictionnalisation de l’histoire, telle qu’elle apparaît dans le roman, permet la réécriture et la re-sémantisation de faits qui configurent l’histoire du Brésil, en réintégrant le point de vue des Amérindiens dans le concert des discours. 

Mon cher cannibale se positionne en faveur d’un projet utopique ouvert à l’interaction des diversités culturelles et perméable à la rencontre. Le croisement des différentes voix, ainsi que le style parodique et ironique du texte, empêchent d’attribuer à ce récit le statut de nouveau « récit-maître ». C’est là que réside la grande originalité du roman, qui puise son caractère subversif dans cette mobilité du discours contestataire. Il s’inscrit dans une mer d’histoires, dont il n’est qu’une des versions possibles. L’expression exubérante, le ton provocateur, la vision décapante de l’histoire proposée par Antônio Torres interpellent le lecteur au-delà de l’intérêt thématique évident de Mon cher cannibale pour le public français.

Mon cher cannibale – Antônio Torres – Par Dominique Stoenesco – LUSO JORNAL » – n°210 – 18 mars 2015

« LUSO  JORNAL » – n°210 – 18 mars 2015

Dominique Stoenesco

Um livro por semana

Un livre par semaine

“Mon cher cannibale”, de Antônio Torres

Dès les premières lignes de « Mon cher cannibale » (éd. Pétra, mars 2015, postface de Rita Olivieri-Godet et traduction de D. Stoenesco), l’auteur situe son récit et annonce son intention : « Il était une fois un Indien. C’était dans les années 1500, au siècle des grandes navigations – et des grands Indiens. Comme ils ne maîtrisaient pas l’écriture, il n’est resté de leur destin que des légendes. Le peu de choses que nous savons d’eux nous le devons aux récits souvent invraisemblables de ces Blancs, empreints d’exagération et de suspicion, un délire fou dont n’est pas exempt le narrateur qui vous parle (héritier du sang des premiers et des affabulations des seconds) et qui s’en va puiser aux sources d’antan, dans les vieux bouquins fleurant le romantisme tardif, pour s’exposer, torse nu, tel un néoromantique anachronique, aux piques de l’histoire officielle, cette vieille dame très digne, soumise ici aux retouches dictées par notre indignation. » Cet Indien est Cunhambebe, un cannibale de la tribu tupinamba, héros de la résistance indienne durant la colonisation portugaise au Brésil. Dans ce livre, le narrateur s’en va dans les pas des Indiens disparus, transportant abruptement le lecteur dans la contemporanéité et en établissant un parallèle entre les formes actuelles de violence et celles qui ont conduit au massacre des Amérindiens.

Antônio Torres est né en 1940, à Junco, petite ville du sertão, dans l’État de Bahia. À l’âge de 20 ans il part pour São Paulo exercer le journalisme, puis s’engage comme rédacteur publicitaire. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont onze romans, parmi lesquels « Cette terre » (1984), son grand succès, traduit en français et en une dizaine d’autres langues. En 1998, il reçoit du gouvernement français la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres et en 2013 il est élu à l’Académie Brésilienne des Lettres. Par sa diversité thématique et stylistique, il est l’un des auteurs les plus originaux de la littérature brésilienne contemporaine.

Un cannibale au Salon du livre de Paris: Entretien avec Antônio Torres – Par Dominique Stoenesco – LUSO JORNAL » – n°210 – 18 mars 2015

« LUSO JORNAL » – n°210 – 18 mars 2015

Un cannibale au Salon du livre de Paris

Entretien avec Antônio Torres

Par Dominique Stoenesco

À l’occasion de la parution en français de son livre « Mon cher cannibale » (éd. Pétra, mars 2015) et de sa présence au Salon du livre de Paris (20-23 mars), Antônio Torres a bien voulu nous accorder cet entretien.  

LusoJornal : Dans le « Jornal de Letras » du 27.11.2013, vous disiez ceci: “Pour quelqu’un qui est né à la campagne et qui était destiné aux travaux des champs, suspendu au manche d’une houe, devenir écrivain semblait être un rêve lointain. » Alors qu’est-ce qui vous a fait aimer les livres et l’écriture ?

Antônio Torres : Oui, je suis issu du monde agraire et analphabète, où la découverte du mot écrit a été une conquête extraordinaire. Tout a commencé lorsqu’un jour ma mère me montra un abécédaire et m’expliqua qu’il contenait toutes les lettres qui nous permettent de donner un nom à tout ce qui existe sur la Terre et dans le ciel – elle était très croyante, et l’est  encore. Aussitôt, ce fut pour moi un émerveillement de découvrir que les lettres avaient des noms, comme les personnes et les choses, et que chacune avait une forme particulière, une espèce de personnalité. Voyant mon étonnement, ma mère se dépêcha de m’inscrire à l’école du village, où j’ai eu deux maîtresses. La première, dès que les élèves apprenaient à lire, elle leur demandait de lire des poésies, à voix haute. La deuxième, en plus de la lecture en classe, elle nous donnait des exercices écrits, presque tous les jours. Une fois, elle nous avait demandé d’écrire un texte sur un jour de pluie. Probablement, c’est ce jour-là qu’est né en moi l’auteur de fictions que je suis, car dans notre village c’était plutôt la sécheresse qui régnait. Pour écrire sur la pluie il fallait avoir beaucoup d’imagination…

LusoJornal : Quel bilan faites-vous de votre travail d’écrivain depuis 1972, date de publication de « Um cão uivando para a lua », votre premier roman ? Lequel de vos livres a eu le plus de succès au Brésil et lequel préférez-vous ?

Antônio Torres : J’ai eu la chance de débuter en littérature avec un roman qui a eu un écho très favorable auprès de la critique et du public. L’histoire se situe à la limite entre la raison et la folie, elle a été saluée avec des titres tels que: « L’électrochoc » ou « La révélation de l’année ». Dans le deuxième livre, « Os homens dos pés redondos », la critique a été inégale, mais elle a continué à parier sur l’auteur. Puis ce fut « Essa terra », en 1976, avec un tirage de 30 mille exemplaires qui s’épuisèrent rapidement. Ce livre est aujourd’hui à sa 28ème édition au Brésil et il totalise 15 traductions – dont une qui vient de sortir au Vietnam, faite à partir de la version française ! D’ailleurs, sa carrière internationale a commencé en France, édité chez Anne-Marie Métailié, sous le titre de « Cette terre », traduit par Jacques Thiériot. « Essa terra » a été le premier de ce qui est devenu une trilogie, avec « O cachorro e o lobo » (« Chien et loup », édition Phébus, traduction de Cécile Tricoire) et « Pelo fundo da agulha ». Ensuite, j’ai cherché à changer de scénario et de thème (comme dans « Un taxi pour Vienne d’Autriche », paru chez Gallimard, avec une traduction de Henri Raillard), pour ne pas continuer à « jouer de la samba avec toujours la même note ». Mon livre préféré ? Difficile à dire. Peut-être “O nobre sequestrador”, qui évoque l’invasion française de Rio de Janeiro, en 1711, par René Duguay-Trouin, le corsaire du roi Louis XIV. L’écrire fut un tour de force pour moi, car pour connaître tous les méandres de cette histoire j’ai dû aller jusqu’à Saint Malo, où sa statue nous raconte son histoire, et aussi à La Rochelle, d’où il était parti.

LusoJornal : Précisément, « Mon cher cannibale », dont l’action se déroule au milieu du XVIe siècle, marque un virage très net par rapport aux thèmes abordés dans vos romans antérieurs. Comment est née votre envie d’écrire sur cette période de l’histoire du Brésil ?

AntônioTorres : J’ai été très attiré par la figure du héros Cunhambebe. Nous sommes un peuple qui passe son temps à répéter que nous n’avons pas de héros. Un jour, je suis tombé sur un livre de l’historien brésilien Gastão Cruls et j’ai découvert en cinq lignes le personnage Cunhambebe. J’ai appris qu’il avait été un vaillant guerrier, malgré ce que les autres historiens affirmaient, le considérant comme un Sauvage répugnant et fantasque. En lisant ces affirmations, qui n’étaient pas celles de G. Cruls, je me suis dit que derrière cet homme, auquel on avait prêté si peu d’attention, il y avait une figure emblématique. En tant que romancier, j’ai été enchanté par ce personnage. Ainsi, en me lançant sur ses pas j’ai commencé peu à peu à découvrir toute l’histoire de son époque, une histoire jalonnée par des guerres entre les tribus elles-mêmes, qui se battaient pour la terre ou pour des questions familiales. J’ai été aussi très attiré par l’histoire de l’Europe. Car les souffrances de l’Indien, qui ne s’appelait pas encore Indien jusqu’au moment de l’arrivée des colonisateurs, ont été la conséquence des guerres religieuses en Europe et de l’ascension de la bourgeoisie qui voulait élargir son espace commercial. L’Europe s’est alors jetée à l’eau pour atteindre ces rivages où vivaient ces hommes étranges, comme le cannibale Cunhambebe. Cette découverte du monde par l’Europe a été le fait le plus important de son histoire.

Luso Jornal : L’histoire de “Mon cher cannibale” croise celle racontée par Jean-Christophe Rufin dans son roman « Rouge Brésil ». Une histoire qui a mal fini…

Antônio Torres : La première personne qui avait remarqué que « Rouge Brésil » et « Mon cher cannibale » sont des histoires complémentaires, c’est la regrettée Solange Parvaux. Elle avait réussi à réunir les deux auteurs lors d’une table ronde à Expolangues, en 2002, à Paris. En effet, Jean-Christophe Rufin et moi naviguons dans deux aventures qui débouchèrent sur un échec : celle de l’expédition de Villegagnon à Rio de Janeiro, en 1555, dans le but d’y fonder une France Antarctique, et celle de la Confédération des Tamoios, fondée à la même époque pour repousser les Portugais. Rufin s’est intéressé à ceux qui sont allés au Brésil. Et moi, à ceux qui y étaient déjà, les Indiens amis des Français.

Luso Jornal : Mais êtes-vous d’accord pour dire que “Mon cher cannibale” n’est pas seulement une interrogation sur le passé historique du Brésil, et que c’est aussi une tentative de comprendre certains phénomènes de la société brésilienne actuelle?

Antônio Torres : Oui. Ce roman est divisé en 3 parties et, dans la dernière, le narrateur entreprend un voyage à la recherche des traces du vieux peuple indigène, irrémédiablement effacées par le temps. C’est à ce moment-là qu’il essaie de comprendre le passé à la lumière du présent, et le présent à l’ombre du passé. Et il conclut que tout ne fut qu’une histoire remplie de rêves, de cupidité, de bruit et de fureur, ne voulant plus rien dire aujourd’hui…

Images inaugurales et scenes urbaines: recurrences identitaires dans Meu Querido Canibal – Elvya Shirley Ribeiro Pereira

Universidade Estadual de Feira de Santana – UEFS – Bahia – Brésil
Elvya Shirley Ribeiro Pereira

Images Inaugurales et Scenes Urbaines:
Recurrences Identitaires Dans Meu Querido Canibal

Notre projet de recherche actuel, intitulé « Récits de la nation et des identités », se déploie sur trois versants : l’étude de récits de fondation ; la lecture de profils historico-biographiques ou socio-anthropologiques du peuple brésilien  et l’articulation de scènes et de légendes qui traversent des temps et des espaces de sacralisation, de problématisation ou même de déconstruction d’identités nationales. Les trois versants, orientés par la ligne générale du projet, se croisent et se rétro-alimentent à chaque instant. Ainsi, si le titre et la structuration du présent travail privilégient apparemment le troisième versant, les objets et la nature des lectures s’insèrent dans la plus grande dimension des “récits de nation et des identités”.

Nous discuterons de la manière dont la thématique indianiste vient, depuis le XVIème siècle, alimenter les formes les plus controversées visant à mettre en avant la question de l’identité brésilienne. Dans ce parcours historique et esthético-idéologique, nous saisissons des images, des fragments et des brouillons d’une rencontre/confrontation de civilisations très différentes. Sous-jacent à cette thématique, d’un côté, l’idée romantique d’une force mythique de l’origine, d’un commencement qui ne cesserait d’émettre ses coordonnées utopiques et unificatrices de la nation et, de l’autre côté, le contre discours de cette idéologie dimensionnée par une histoire monumentale et téléologique.

Dans la mosaïque de représentations ici dessinée, des temps et des espaces variés se croisent, la diversité de scénarios engagés dans nos (re)configurations d’identités y est recherchée. Ainsi se croisant avec des productions contemporaines, entre en scène le regard critique de Lima Barreto, écrivain et intellectuel qui assume la fragmentation et la discontinuité historiques dans les configurations identitaires et dans les discours sur la nation. Et se dévoilent des images et des postulats romantico-nationalistes de Gonçalves de Magalhães et José de Alencar, qui reflètent une histoire à tendance conciliante et monumentale. Quant à la production actuelle, laquelle constitue l’élément central de notre étude, nous concentrerons notre attention sur le livre Meu querido canibal, de Antônio Torres, lu à partir de la gravure qui illustre la couverture (un indien, montant la garde, sur le Corcovado). Ajoutons également, au corps analogique des lectures, deux photos de la Place José Alencar. Sur celles-ci apparaissent la statue de l’écrivain et un gigantesque panneau qui renvoie à la scène inaugurale de la rencontre d’autochtones et de colonisateurs dans les terres paradisiaques du Brésil – panneau peint en 1997, recouvrant tout le côté droit de l’Edifice Juruá, côté qui donne sur la place à laquelle nous faisons référence, dans le centre de Rio de Janeiro.

Scène/Légende 1
Monument national – José de Alencar

Un imposant monument de ce conteur de la nationalité, José de Alencar, s’élève au centre d’une place qui porte son nom, dans la zone sud de Rio de Janeiro (photo. N°. 1). Il s’agit de la sculpture de Rodolfo Bernardelli, inaugurée le 5 Mai 1897. Sur cette photographie d’archive, dont la date n’est pas précisée, on peut voir, tout au fond, un écriteau indiquant, sur la façade d’un immeuble, que “Le Christ est la solution”. L’écrivain semble tourner solennellement le dos aux catéchismes tardifs qui se disputent les points commerciaux des grandes et petites villes contemporaines. La posture grave, Alencar fixe un certain point devant lui – pour nous, un point qui seulement 100 ans après sa présence sur la Place José Alencar allait être défini comme représentant une scène monumentale qui raconte la rencontre de deux peuples…

Scène/Légende 2
Alencar… et l’arrivée des caravelles

Le monument de José de Alencar, sur la place qui porte le nom de l’écrivain, dans la zone sud de Rio de Janeiro. Devant, un paysage avec des indiens, des caravelles et des palmiers, et, au fond, la Baie de Guanabara. Ce gigantesque panneau a été peint sur le côté de l’Edifice Juruá, dans la rue Barão do Flamengo

Une photographie saisit notre “Piguara” de dos, ayant devant lui un gigantesque panneau peint sur le côté d’un immeuble qui donne sur la place José de Alencar. Nous voyons l’écrivain, la posture grave, comme s’il contemplait ce paysage maintes fois par lui imaginé ou décrit dans ses œuvres, élaboré dans ses rêves aux traits nationalistes. Dans cette scène, un beau paysage tropical accueille des indiennes et des indiens à moitié nus qui observent tranquillement quelques caravelles qui avancent dans la Baie de Guanabara. La scène semble décrire l’arrivée de la troupe de Martin Afonso de Souza à la ville de Rio de Janeiro, en 1531. Il y a, au fond, le Pain de Sucre, carte postale de la « ville merveilleuse », entrevue par Alencar comme possible reine de l’Amérique, la même Amérique qui figure, sous forme d’anagramme, dans le nom d’Iracema. Du côté droit de la peinture, dans la partie du bas, le nom du sponsor, l’entreprise de télécommunications Teletrim. Toujours du côté droit, accompagnant ce signe de vie contemporaine, dans la partie du haut de la photographie, à l’extérieur du panneau, une lumière de mercure compose une symétrie avec la tête de Alencar, symétrie qui permet à un regard métaphorique un déplacement vers l’arrière de la scène, où nous pouvons apercevoir les sauts temporels et épistémologiques qui sont en jeu. En effet, il s’agit de nouveaux regards dans un nouveau contexte : la scène proposée par le panneau, le regard méticuleux et prospectif de la statue de Alencar, l’angle et le contexte de la photographie qui, peut-être involontairement, présentent une lumière parallèle au monument de l’écrivain, composant l’emblématique paysage urbain. Il n’est pas possible de dire si le slogan chrétien, tant d’années plus tard, se trouve derrière l’écrivain, mais il est possible de se rendre compte que son regard se projette vers un avenir encore marqué, dans ce paysage contemporain, par une matrice idéologique du passé, par les virtualités mythiques de l’origine.

L’aube d’une nouvelle année – 1531 – se levait au-dessus des eaux et commençait à illuminer cette terre inculte. Quelques voiles blanches singlaient dans le lointain sur la vaste étendue des mers.

Quelques moments s’écoulèrent. La silhouète de Martim Afonso se détacha du fond de cette scène brillante et tout disparut comme si c’était un rève et ce l’était.

José de Alencar.“Crônica de 21 de janeiro de 1855”, in: Ao correr da pena. São Paulo: Melhoramentos (p. 142-5; s/d.).

Dans cette chronique de début de carrière, José Alencar apporte à la scène culturelle brésilienne certaines légendes qui seront récurrentes dans la littérature du Romantisme au Modernisme. Il est question d’identité nationale, de valeurs historiques et culturelles. Le narrateur, pris par un délire nocturne, nous parle d’une vision de l’histoire qui “qui prend alors la forme d’un grand monument”. Dans son tableau  fantastique, Alencar considère que “l’œuvre de Dieu n’avait pas encore été touchée par la main de l’homme. Il n’y avait que la pirogue de l’indien qui fendait les ondes. ”. Notons ici l’oscillation entre la fascination et la valorisation des éléments locaux, en même temps que sont attribuées à l’entreprise colonisatrice les desseins de la terre patrie.

Scène/Légende 3
Gonçalves de Magalhães
La parole de Dieu dans La confédération des tamoios
Sixième chant(frag.)

Scénario Enervé par la discussion qu’il avait eue avec Tibiriçá et qu’il lui était revenue spontanément à l’esprit, il eu du mal à s’endormir. Il finit par y arriver et dans cet état son âme s’exalte et se met à rêver. – Saint Sébastien, dont l’image, dans l’église, avait attiré son attention, se présente à lui et l’emène au sommet du Corcovado. – Splendeur de la baie de Rio de Janeiro à laquelle rien ne se compare. – Le saint montre à l’Indien, fondée dans l’avenir,la grande ville de Janeiro. Son port que sillonnent d’innombrables vaisseaux. – L’arrivée de la Famille royale. L’élévation du Brésil au rang de Royaume-Uni. – Le retour du roi D. João VI. – La proclamation de l’Indépendance et la fondation de l’Empire. – L’abdication de D. Pedro 1er . – Les années de l’Infant. – L’amour du peuple pour Dom Pedro II. – Son intronisation. – L’empire grandira sous son règne. – La Providence doit apporter la victoire aux Portugais sur les sauvages, afin de propager la religion de Jésus Christ . – Que l’indien veuille embrasser la croix et celle-ci lui apparaît. _ Réveille-toi Jagoanharo. – L’oncle le conduit à l’église. – Sur la place, il croise Iguaçu qui arrive, prisonnière. – Il essaie en vain de la libérer. – Désespéré, il s’en va , maudissant le monde. (1994 : 119, les caractères gras sont de notre ressort)

Publié en 1856, ce poème de Gonçalves de Magalhães prêche la victoire des Portugais sur les Tamoios (en principe, héros de son épopée) comme expression de la volonté divine en faveur de l’élévation de la patrie brésilienne. Dans une de ces scènes, Magalhães actualise le topos littéraire de la vision surnaturelle qui rompt la barrière du temps et de l’espace, dévoilant le passé et l’avenir (comme des écrits de Dieu) en fonction d’une force déterminante du présent (la mission colonisatrice).

Dans le poème de Magalhães, les Tamoios, malgré leurs valeurs épiques, ont été sacrifiés en faveur d’une mission « civilisatrice » qui incluait, surtout, la prise de possession de la terre. Une telle « mission », qui fait partie de l’ambiguë imaginaire romantique, migre vers le rêve de l’indien Jagoanharo (Tamoio rebelle), qui, guidé par les mains de São Sebastião, le Saint Patron de la ville de Rio de Janeiro, assiste depuis le haut du Corcovado (en état d’exaltation), au déroulement de l’histoire du Brésil, pays auquel serait réservé un avenir prometteur. Dans une étrange vision historico-fictionnelle rapportée dans ce passage du poème de Magalhães, les Tamoios devraient faire partie de ce “avenir grandiose” en tant que martyrs, se conformant à la vérité de la croix, et à la rédemption par la catéchèse des missionnaires, après l’”inévitable” génocide perpétré par les armes expansionnistes “d’aventuriers”, de Portugais cruels et corrompus, dans le poème représenté par le personnage Brás Cubas. Voyons un extrait du discours de São Sebastião à Jagoanharo :

Índio! Se amas a terra em que nasceste,
E se podes amar o seu futuro,
A verdade da Cruz aceita e adora.
Que importa quem a traz ser inimigo,
Se o bem fica, e supera os males todos!
Bons e maus, tudo serve à Providência!
Como de um fruto pútrido, lançado
Sobre a terra, a semente germinando,
Nova árvore produz, e novos frutos;
Assim desses cruéis, corruptos homens,
Que vos flagelam hoje, um santo germe
Aqui produzirá filhos melhores. (op. cit., p. 131)

Ici aussi, est mise en relief la scène “fondatrice” des vaisseaux portugais accostant dans la baie de Guanabara. Magalhães, au nom de l’avenir, porte les couleurs du slogan qui apparaît sur la photographie, à côté de la statue de José de Alencar : Le Christ est la réponse. Rappelons-nous d’un des passages de l’« Argument » du poème A confederação dos Tamoios :

La Providence doit apporter la victoire au Portugais sur les sauvages, afin de propager la religion de Jésus Christ

Marilena Chauí, débattant de l’origine du “mythe fondateur du Brésil” et se demandant si un tel mythe fonctionne comme facteur de cohésion et de contrainte sociale, constate que trois “éléments apparaissent, au XVI et XVIIèmes siècles, sous la forme de trois opérations divines qui, dans le mythe fondateur, s’appliquent au Brésil : l’oeuvre de Dieu, c’est-à-dire la Nature, la parole de Dieu, c’est-à-dire l’histoire, et la volonté de Dieu, c’est-à-dire l’Etat.” Suite à de telles opérations divines, observe la philosophe, “le Brésil fut institué comme colonie du Portugal et inventé comme “terre bénie de Dieu“” (Chauí, 2001: 57-8). Le solde de cet héritage, une société au fondement autoritaire, marquée par une “culture seigneuriale”.”

Scène/Légende 4
Lima Barreto – les marques de l’histoire
 La fillieule

[Olga] Elle sortit et se mis à marcher. Elle regarda le ciel, les airs, les arbres de Sainte Thérèse, et se rappela que, sur ces terres, avaient erré des tribus dont l’un des chefs s’enorgueillissait d’avoir dans son sang le sang de dix mille ennemis. C’était il y a quatre siècles. Elle regarda de nouveau le ciel, les airs, les arbres de Sainte Thérèse, les maisons, les églises, elle vit les tramways passer, une locomotive siffla, une voiture, tirée par un bel attelage passa devant quand elle était sur le point de rentrer de la campagne… Il y avait eu des transfomations importantes et  inombrables. Qu’était devenu ce parque ? Peut-être un terrain vague. Il y avait eu des transformations importantes, dans l’aspect des choses, dans la physionomie de la terre, dans le climat peut-être … Attendons encore, pensa-t-elle, et elle poursuivi sereinement son chemin à la rencontre de Ricardo Coeur des Autres

Afonso Henriques de Lima Barreto ([1911] 1969). Triste fim de Policarpo Quaresma. São Paulo: Brasiliense; p. 295; (c’est nous avons mis les italiques.)

Dans ce paragraphe final de Triste fim de Policarpo Quaresma, le ton émotionnel et réflexif qui marque le regard de Olga sur les signes de la rue – “Elle regarda le ciel, les airs, les arbres de Sainte Thérèse …” – est traversé par un registre qui émerge d’un temps simultanément historique et mythique, et qui s’éloigne des marges, sociales et historiques et met en scène un présent barbare, la lame de la résistance anthropophagique et “sauvage” : “se rappela que, sur ces terres, avaient erré des tribus dont l’un des chefs s’enorgueillissait d’avoir dans son sang le sang de dix mille ennemis.». Néanmoins, Olga se rend compte qu’ “ il y avait eu des transfomations importantes et inombrables” Le présent se révèle comme une succession d’événements qui demandent un sens, et la sensation qui reste est celle de la terre dévastée, où un grand vide s’annonce à l’horizon “d’innombrables modifications”. Le présent, maintenant destitué d’utopies, ne contenait plus la marque de ce passé originaire décanté par le romantisme et poursuivi par Policarpo Quaresma (maintenant condamné à mort). Il reste l’avenir. Attaché à cet avenir incertain, Lima Barreto ramenant, de manière allégorique, des vestiges du passé : “rappela que, sur ces terres, avaient déjà erré des tribus sauvages“. Nous pouvons déduire que, entre de telles tribus, se trouveraient, les tribus Tupinambás, dont le grand chef fut Cunhambebe, principal leader de la “Confédération des Tamoios”.

Il est intéressant d’observer le fait que, dans son poème épique, Gonçalves Magalhães déprécie complètement l’image de Cunhambebe, en faveur de l’héroïsation de Aimberê. Nous savons, cependant, que le premier grand leader de la Confédération des Tamoios fut Cunhambebe, qu’il fut choisi par tous les leaders des tribus confédérées, incluant le propre Aimberê. Nous pouvons en déduire que Cunhambebe a été mis de côté, dans la fiction, par Gonçalves de Magalhães, surtout parce qu’il s’agissait d’un personnage historiquement caractérisé par son côté de cannibale terrible, par les chroniqueurs et les voyageurs.

Si dans Triste fin de Policarpo Quaresma, Lima Barreto s’exerce déjà à une récupération historique de cet indien cannibale (“qui s’enorgueillissait d’avoir dans son sang le sang de dix mille ennemis”), son personnage en vient à occuper une place centrale dans la narration actuelle d’Antônio Torres : “L’indien nommé Cunhambebe était le plus valeureux de la région.”. Si ce guerrier craint apparaît comme vestige d’une histoire qui se perd dans les confins d’une entreprise colonisatrice et de gouvernements oppresseurs (Lima Barreto), ou est reconstitué par une narration où presque tout se présente comme “présumé” (António Torres), même ainsi, on doit reconnaître la force, la résistance dont s’arme le personnage de Cunhambebe. Nous ne pouvons oublier que, comme le souligne de manière brillante Benjamin Walter, restituer historiquement le passé ne signifie pas qu’il faille le connaître comme il s’est, de fait, produit. Cela veut dire s’approprier une réminiscence, de manière telle qu’elle illumine, dans un moment de danger. […] A chaque époque, il est nécessaire d’arracher la tradition des mains du conformisme qui veut en être le seul maître. […] Le don de faire ressurgir du passé les lueurs fugaces de l’espoir relève du privilège exclusif de l’historien convaincu que les morts eux-mêmes ne sont pas en sécurité si l’ennemi gagne. Et cet ennemi n’a pas cessé de gagner. (Benjamin,1985, p. 224-5).

Et une histoire suit à rebours.

Scène/légende 5
Antonio Torres
Meu querido canibalscènes contemporaines

“Copacabana, 10 heures. Jour : mardi. Année : à l’aube du sixième siècle de la découverte du Brésil / Beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts de ces rivières et mers, pensa l’homme qui sortit de chez lui par ce matin ensoleillé, laissant derrière lui les vieux livres de sa propre consommation – des piles énormes de pages jaunies – traces de cette investigation insensée faite d’un bazar de choses les plus diverses, à la recherche de l’histoire de batailles perdues, de dates exactes, de noms corrects, de mythes, de fables. A la recherche de cela principalement, de l’histoire de ceux qui étaient ici quand les blancs sont arrivés, une histoire avec un début, un milieu et une fin. Jusqu’ici, on n’a trouvé que des morceaux, des fragments et toujours avec la même réserve “cela fut probablement ainsi”. Mais cela s’est-il passé ainsi, oui ou non ? Parfois on a l’impression que les Indiens n’avaient même jamais existé. Vous allez voir, en fait, ils n’ont été qu’un délire des européens ! Des personnages de leurs fictions !” (Torres, op. cit., p. 117).

C’est ainsi qu’Antônio Torres commence la troisième et dernière partie de Meu querido canibal, en se plaçant en tant que personnage de sa propre narration historico-fictionnelle et s’insérant dans une chronotopie de recherches et de questionnements qui rappellent le temps d’«attente » annoncé par Olga. Cependant, la sensation maintenant, dans cette turbulente fin de millenium, est celle d’une violence presque généralisée, qui touche tout aussi bien aux corps en transit dans la tumultueuse métropole, qu’à notre mémoire historique, en passant également par l’imaginaire symbolico-sentimental de notre constitution ethnique et culturelle. Dans ce processus qui vise à donner de la visibilité à sa propre “aventure” au milieu des objets de ses recherches, l’auteur-narrateur-personnage pose un regard bizarrement compromis et distancié, que ce soit vis-à-vis des vestiges du personnage de Cunhambebe, en même temps réel et fantasmagorique, que de son propre personnage, puisque la narration se fait avant tout, à la troisième personne. Ce qui signifie que, en se référant à soi-même à la troisième personne, le narrateur intensifie la configuration d’une réalité équivoque, défocalisée où êtres et objets, totems et tabus, monuments et fragments paraissent également être destitués de trajectoire.

Si le motif du déroulement de Meu querido canibal, sont les errances et les expéditions du narrateur en recherche de vestiges de Cunhambebe, héros-guerrier-vaincu-et-oublié qui a régné sur les terres d’origine de Rio de Janeiro et qui flâne maintenant, incertain, aux confins de l’histoire, si le motif, je répète, est l’exhumation d’une histoire passée, la fin de cette aventure prend toute sa dimension dans l’expérience du présent dans laquelle le narrateur se meut. Comme dans la scène finale de Policarpo Quaresma, notre personnage-narrateur affronte la métropole, et la propre histoire nationale, exhumant les signes de la rue, transitant au milieu de la violence généralisée et des impasses d’un pays appauvri en espaces urbains et en projets et promesses d’émancipation.

Résigné en ce qui concerne l’impossibilité de récupérer la mémoire méritée du vaillant cannibale, qui aurait été le “premier héros du Brésil”, le narrateur suit, de plus en plus à la dérive de son temps et de son espace, comme la propre histoire qu’il tente de reconstituer :

Arrivé là, en ce qui concerne leur extermination [celle des tamoios] tout lui semble, à lui, le narrateur de cette histoire, n’être qu’un produit de plus de la convoitise humaine. Mais il y eut aussi des rêves au-delà de cette cupidité, mot qui rime avec stupidité. Et là, la conquête atteint le sommet de sa furie

– Tu es en train de devenir fou lui fit à nouveau remarquer sa femme, il y a peu de temps. – Tu ne penses plus qu’à cela. Tu es arrivé au point où tu en parles dans ton sommeil.

– Et de quoi est-ce que je parle quand je dors ?

– De quoi ? Mais d’indien, de pirate, de tout ce qui se trouve dans ce tas de bouquins éparpillés dans toute la maison. Et ce n’est pas rien. Le pire c’est quand tu me réveilles en sursaut aux cris de “CHIENS !”

Il se mit à rire et sorti. Il fallait qu’il aille travailler.

Ceci pour dire que le passager de ce chapitre, après une nuit d’affrontements avec les âmes en peine des années 500, nuit bercée par le bruit et la furie des tirs de balles dans le bidonville au pied de son lit – souvenez-vous, il s’agit d’un habitant de Copacabana – et même ainsi, il sortit de chez lui, de bonne humeur. (p. 117-8)

Dans le scénario inter-discursif de Meu querido canibal, des temps et des intrigues croisés s’annoncent, parallèles et superposés. Dans un premier temps, surgit la recherche du personnage Cunhambebe, indien qui a conduit les Tamoios confédérés dans une lutte féroce contre la domination portugaise, au début de la colonisation (XVIème siècle). Nous pouvons observer qu’une telle recherche vise à subvertir la sacralisation du pouvoir et de ses monuments officiels, ramenant avec force au centre de notre mémoire collective une histoire de résistance jusqu’alors subjuguée.

Meu querido canibal a mérité de la critique une attention presque exclusivement centrée sur la recherche méticuleuse et la problématisation d’un certain moment de l’histoire coloniale. Cependant, nous saisissons dans ce livre la gestation d’autres histoires, d’autres temps, comme par exemple, l’histoire du propre sujet qui se narre et, de cette manière, narre également les forces du présent et les demandes d’avenir. Ainsi, le livre s’établit à travers des formes rhétoriques variées, des encadrements narratifs complexes, dans un processus de distanciation critique par rapport aux sources originelles (textes divers et expériences contextuelles) et dans un processus de relativisation dans le traitement de beaucoup d’acteurs de cette histoire (Cunhambebe et les persécuteurs du peuple indigène, le propre narrateur et ses contemporains, la tradition critico-littéraire et le propre lecteur).

La couverture du livre Meu querido canibal (Antônio Torres, 2000), signée par le graphiste Noguchi, apporte une lecture suggestive du roman, aussi bien dans sa représentation plastique, que dans le titre – « Image du faux protecteur». L’auteur de la couverture présente une image conceptuelle qui évoque la nature de cette narration dans ce qu’elle contient de jeux de glissements rhétoriques et idéologiques autour de la colonisation. La couverture révèle une sacralisation instable de la nature, élevant l’indien à une position de héros, montant la garde, en l’attente d’un ennemi encore en dehors du paysage. Transformée en monument, cette figure “naturelle” de l’indien sur la colline du Corcovado se superpose à l’espace d’une civilisation qui ira le détrôner avec la croix, l’épée et la propre histoire. En se confrontant à une histoire monumentale, d’exaltation des vainqueurs, les structures narratives et symboliques de Meu querido canibal sont configurées dans un jeu de reflets discursifs qui additionne des données historiques documentaires, ainsi que des constructions subjectives, imaginaires ou fictionnelles. Ce jeu de perspectives parait être manipulé par un narrateur en transit, qui ramasse “des vieux livres” et dissémine des paraphrases et des parodies. Narrateur qui, comme nous l’avons vu, est impliqué dans son propre réseau de références et de représentations, c’est-à-dire qu’il est lui-même un document vivant qui, en se plongeant dans les vestiges du passé, s’enfonce  aussi dans les franges d’un temps qui se déroule dans de chaotiques scènes urbaines. Examinons, sous cet angle un passage exemplaire où le narrateur est surpris au milieu d’une tornade d’images dont le point de convergence est le coin de rue, espace vide où il se trouve :

Il se plaça au coin de la rue, à la recherche d’un taxi. Il allait à la gare routière. De là il prendrait un bus pour Angra dos Reis où il espérait pouvoir refaire les sentiers utilisés par Cunhambebe, le caboclo tupinamba, son personage inoubliable. Pendant quelques instants, il regarda autour de lui […] De temps à autre passaient des vendeurs de produits les plus variés … Et passaient aussi des évangéliques au port altier, vêtus de noir de la tête au pieds, Le Seigneur est mon pasteur / Jesus est le salut / le Seigneur est mon pasteur … ainsi que des ivrognes et des singlés de toute espèce et qualité qui n’ont personne ni ne veulent avoir personne qui puisse les sauver … Quelqu’un lui avait déjà dit qu’à Copacabana, tout le monde donnait l’impression d’être drogué et, aujourd’hui, on parle mal de Copacabana qui, pour commencer, a la population des gens de la rue la plus élevée de la ville – ces gens du peuple sans toit, âmes en peine des trottoirs ou idiots martyrs du temps, sans Dieu ni roi ni loi L’ex-princesse de la mer, de temps de gloires passées, tant louée aussi bien en vers qu’en prose, est criblée de balles et en prend plein la figure : vieille (elle a déjà dépassé les cent ans), retirée, décadente, viciée, au chômage, mendiante, inutile, prostituée, ayant le sida, braqueuse et braquée (apprécie sur ta nuque, la pression du canon du P38, cher monsieur ; la bourse ou la vie, chère madame !), bruyante, enfermée dans des caissons empilés entre les ordures et le luxe … Mais lui, le piéton qui se tenait debout au coin de la rue, en attente d’un taxi, ne pouvait pas nier qu’il aimait Copacabana. Il s’était habitué à vivre dans une zone frontière dangeureuse, où il avait l’impression d’être un correspondant de guerre (p. 119-120, les mises en évidence sont de notre fait)

Il est intéressant de noter comment le regard du narrateur, tout au long de l’œuvre, opère par déplacements: ce sont des temps et des espaces qui se croisent dans l’histoire passée et présente de Rio de Janeiro ; c’est l’image dérobée de Cunhambebe entre mémoire et oubli ; ce sont les fissures rhétoriques mises en avant par l’humour ou la fine ironie qui vibre, surtout, dans les accords intertextuels ; c’est la distanciation imposée par la manière dont l’auteur se réfère à lui-même, à la troisième personne (« Mais lui, le piéton qui se tenait debout au coin de la rue»). Ainsi, ce qui pourrait à peine être un récit/réécriture historique avec des objectifs contre-idéologiques (aspects communément soulevés par la critique de ce roman), gagne de la densité dramatique, élevant le narrateur au statut de protagoniste d’une histoire parallèle à celle de Cunhambebe, ainsi que de la tension critique, se dédoublant en chronique socio-économique et culturelle du présent. Les « martyrisés du temps, sans Dieu ni roi ni loi» tracent une ligne droite allant des forêts sauvages d’antan à la “forêt de béton” de nos métropoles.

Dans la troisième et dernière partie du livre, intitulée “Voyage à Angra dos Reis”, le lecteur est capturé par la journée fatigante de notre personnage-narrateur. Il ne s’agit pas, maintenant, uniquement de l’espace vertical des livres et des manuscrits abîmés, vu que le narrateur prend de l’importance et se déplace dans l’espace immédiat du réel. On y rencontre des obstacles que, tout comme le personnage de Cunhambebe, ’il a besoin de vaincre. Finalement, à Angra dos Reis, où il cherche les derniers vestiges de son héros, le narrateur ne fait que tomber par hasard sur un village appelé de manière équivoque « Vila de Cunhambebe » :

Dans le hameau Cunhambebe, une forêt de béton et d’échaffaudages, il est impossible d’imaginer à quel endroit précis il fut enterré. Et quelle importance cela a-t-il, à ce moment de la bagarre ? […] Et la bagarre allait se produire, de retour à Angra. Délcio Bernardo insatisfait, décida de tirer au clair un doute qu’il avait. Pourquoi ce lieu que tout le monde connaissait sous le nom de Frade était également appelé village de Cunhambebe ? Existerait-il un ancien et un nouveau nom ? Vous suggerez-là une piste : – Vous allez voir, l’un est le nom donné par les blancs, l’autre par les indiens. Le sacré et le profane, l’érudit et le populaire, le chrétien versus le canibal. Rien n’a changé ! (p. 176).

Les manuscrits, ainsi que les plaques de signalisation de la rue, paraissent enfermer la recherche de notre narrateur-personnage dans la circularité du texte, ou plutôt, des textes, inter-textes, des sous-textes. En eux, s’inscrivent les fausses protections de notre temps. Comme nous l’avons déjà vu, le Tamoio rebelle Jagonharo, dans le poème épique de Gonçalves de Magalhães, a été emmené par São Sebastião dans le site privilégié du Haut Corcovado, espace où le Saint annonce un mouvement providentiel double et pervers : l’extermination du peuple indigène et, par voie de conséquence, “l’avenir grandiose” que la colonisation réserve au Brésil. Notre lecture de Meu querido canibal privilégie la couverture du livre, dénommée “image du protecteur trompeur “. Cette image, d’un indien sur le Corcovado, armé d’un arc et d’une flèche devant une forêt inviolée, se détache ostensiblement de la figure monumentale du Christ rédempteur, qui allait s’installer sur ce plateau quelque temps plus tard. Si l’image du ” protecteur trompeur ” remonte à la résistance tamoia, la présence du Christ Rédempteur parait homologuer ce discours de São Sebastião, le Saint Patron de la ville de Rio de Janeiro.

La construction de la statue du Christ Rédempteur s’est faite à l’initiative de l’Eglise catholique dans le but de rendre hommage au centenaire de l’indépendance du Brésil, en 1922, même si le monument n’a été inauguré que le 12 octobre 1931. Née sous l’égide d’un événement politique, ce qui nous renvoie à l’alliance historique entre l’Eglise et l’Etat, la statue du Rédempteur est devenue la carte postale la plus célèbre de Rio de Janeiro et du Brésil, au service d’une identité principalement touristique, et de ses intérêts commerciaux.

En ce moment, certaines actions en cours, ont pour objectif de donner une nouvelle signification au monument du Christ Rédempteur, le transformant en un lieu de pèlerinage et d’actes religieux de l’Eglise catholique. Si l’indien de Noguchi représente “un protecteur trompeur”, pour ne pas avoir pu récuser, (face à la suprématie de l’entreprise coloniale) la parole de São Sebastião, annoncée dans le texte de Gonçalves de Magalhães, nous pourrions nous demander  quel type de protecteur est ce Christ Rédempteur si, à ses pieds, se trouvent les favelas et les martyrisés par l’histoire, sans Dieu, sans roi, ni loi » ? 

BIBLIOGRAPHIE

ALENCAR, José (s/d) “Crônica nº XX”. Ao correr da pena. São Paulo: Melhoramentos.

BARRETO, Lima (1969) Triste fim de Policarpo Quaresma. 7 ed., São Paulo: Brasiliense.

BENJAMIN, Walter (1985).  “Sobre o conceito da História”, in Magia e técnica, arte e política. Trad. de Sérgio Paulo Rouanet, São Paulo: Brasiliense.

CHAUÍ, Marilena (2000).  Brasil: mito fundador e sociedade autoritária. São Paulo: Fundação Perseu Abramo.

GANDAVO, Pero de Magalhães (1980).  Tratado da terra do Brasil; História da província de Santa Cruz. Belo Horizonte: Itatiaia.

GONÇALVES DE MAGALHÃES, José Domingo (1994).  A Confederação dos Tamoios. Rio de Janeiro: Secretaria de Cultura do Estado do Rio de Janeiro.

LE GOFF, Jacques (1994).  História e memória. 3 ed., trad. Bernardo Leitão et al. Campinas: Editora da UNICAMP.

PEREIRA, Elvya Ribeiro (2000).  Piguara: Alencar e a invenção do Brasil. Feira de Santana: Universidade Estadual de Feira de Santana (Coleção Literatura e Diversidade Cultural).

QUINTILIANO, Aylton ([1965] 2003). A guerra dos tamoios. 2. ed. revisitada. Rio de Janeiro: RelumeDumará.

TORRES, Antônio (2000).  Meu querido canibal. Rio de Janeiro: Rocco.

Le propre José de Alencar, indirectement, s’auto-nommait “piguara”, qui, en tupi-guarani, signifie “le seigneur des chemins”. Ainsi, considérant le contexte romantique brésilien, le terme « piguara » synthétise les prétentions de l’écrivain quand il dit occuper la « place » de fondateur de la littérature nationale. Cf. PEREIRA, Elvya Shirley, Piguara : Alencar e a invenção do Brasil (2000).

Fin 98, le journal “O Globo” publie la photo avec la légende suivante: “LE PASSÉ SUR LE MUR: un paysage avec des indiens, des caravelles et des palmiers, ayant comme fond la Baie de Guanabara, décore l’Edifice Juruá, dans la rue Barão do Flamengo. La peinture, sponsorisée par l’entreprise Teletrim, fait partie de celles qui profitent des côtés de l’édifice de Rio pour faire de la publicité. Les syndics des immeubles augmentent leurs revenus en louant ces espaces.

Cf. Le Goff “Documento/ Monumento” in Memória e história (1994), São Paulo: Ed. da UNICAMP.

“Ce document n’a pas été suffisamment expliqué. Le fait, cependant, est qu’il n’a existé aucune tribu du nom de tamoio. Dans les écrits avant la confédération, on ne trouve aucune trace du nom tamoio.”. A Rio où eu lieu l’affrontement sanglant entre les indiens confédérés et les forces d’oppression,  les tupinambas vivaient sur le littoral et les goitacases plus à l’intérieur. “Tamoio est un mot qui signifie le plus ancien de la terre, celui qui est arrivé le premier, le propriétaire. Et la Confédération des Tamoios veut dire Confédération des Propriétaire de la Terre. Confédération des Natifs” (Aylton Quintiliano, 2003, p. 64).

La Confédération des Tamoios a sans doute été créée en 1554 et s’est maintenue jusqu’en 1567. Selon l’historien Edmundo Muniz, elle représente l’un des épisodes les plus importants de l’histoire du Brésil au commencement de la colonisation européenne […] ce fut la première réaction des indigènes d’une amplitude inimaginable qui a laissé les colonisateurs sur la défensive […] Les Indiens possédaient une grande partie du territoire de Rio de Janeiro et de du territoire de Rio de Janeiro et de  São Vicente. La victoire était assurée, José Ramalho, Brás Cubas tout comme les autres chefs de Santos et de São Paulo ne se faisait plus aucune illusion sur l’avenir de la capitainerie qui allait être occupée par les tamoios. Mais ce ne s’est pas passé ainsi suite au traité de paix entre les tamoios et les jésuites. Hélas, le traité de Iperoig ne fut pas respecté.   Il ne fut qu’un prétexte de la part des portugais pour gagner du temps et se renforcer et attaquer les tamoios, ce qui s’est passé quand ils se sont sentis suffisamment forts.” (Moniz, in Magalhães, 1994, p. 112-3).

“[Cunhambebe], ce géant incroyable se nourrissait de chair humaine et pas seulement dans le sens biblique : il s’enorgueillissait d’avoir dans ses veines le sang de cinq mille ennemis, parmi lesquels bon nombre de portugais qu’il qualifiait de chiens – féroces – parce qu’ils voulaient que les indiens deviennent des esclaves.” (Antônio Torres, Meu querido canibal, 2000: 41-2).

Comme nous l’avons vu avec Marilena Chauí, pendant la période de conquête/colonisation du teritoire apparaissent les éléments principaux de la formation d”un mythe fondateur. Nous rappelons comme le dit l’auteur, qu’un tel mythe agit comme un “sémiophore” c’est à dire comme une parole féconde parce celui-ci ne cesse de donner naissance à des effets de sens.” Pour Chaui, “le “sémiophore” est une entité mythique qui dans notre cas “cherche à expliquer l’origine et donner un sens au moment fondateur d’une collectivité” (Op. cit, p. 12).

Il faut attirer l’attention ici sur la recontextualisation dramatique de la vision eurocentrique du chroniqueur portugais Gandavo, arrivé au Brésil en 1572: “Il manque trois lettres à la langue de ces populations de la côte, on ne trouve ni le F, ni le L, ni le R, chose qui provoque l’étonement parce que, de dette manière, il n’y a pas de Foi, ni de Loi, ni de Roi et c’est pour cela qu’ils vivent dans le désordre et sans justice.” (Gandavo, 1980, p.8).